Sport de haut-niveau
JO 2030, le grand déni ?

Difficile après avoir connu l’âge d’or des stations de ski de faire le constat d’un modèle qui s’essouffle. Si l’organisation des JO 2030 se veut rassurante, promet des Jeux Verts et durables, aucune preuve ne le garantit pour le moment. Que révèle cette course aux Jeux de l’avenir de la montagne ?
“Les Jeux olympiques sont des sports de riches payés par les pauvres dont le but est la promotion de l’immobilier et du tourisme.” Sam Brown, activiste politique américain impliqué contre les JO d’hiver 1976 de Denver, peut-on lire en ouvrant la première page du livre de notre invité, Le crépuscule des Jeux, publié dans la collection Guérin aux éditions Paulsen. Avant de se lancer dans cette enquête, Guillaume Desmurs considérait cette citation quelque peu caricaturale et confie qu’aujourd’hui qu’il la trouve factuelle.
Né au pied des pistes et skis aux pieds, il a grandi en voyant le côté brillant de la médaille et la prospérité des stations de ski poussées par le Plan Neige et les Trente Glorieuses. Avec les effets du réchauffement climatique et les différentes crises économiques, il en constate amèrement son revers aujourd’hui. Le paysage du ski industriel français, qu’il connaît très bien s’accroche à un modèle qui ne fonctionne plus et compte encore sur l’effet JO pour relancer l’enthousiasme collectif. Mais, ni les sportifs, ni les montagnards ne semblent prêts à suivre les promoteurs des Jeux dans cette illusion court-termisme – contrairement au binôme politique-business qui continue d’alimenter cette fuite en avant. La candidature des Jeux Olympiques d’hiver 2030 est ainsi le reflet d’un aveuglement, voire d’un cynisme face à la préservation nécessaire des territoires de montagne.
L’aube des Jeux, origines d’une candidature express
La candidature des JO 2030 cherche à rappeler les heures de gloire et d’euphorie des précédentes éditions, les souvenirs joyeux et insouciants de Grenoble ou d’Albertville. Mais Guillaume Desmurs rappelle que ces Jeux d’hiver ont eu lieu à des époques où les besoins de la montagne et le contexte économique français étaient drastiquement différents.
En 1968, Grenoble se déroule dans le contexte du Plan neige (entre 1964 et 1977, séries de politiques publiques d’aménagement des montagnes françaises dans le but d’y encourager le tourisme hivernal de masse). Les Jeux ont ensuite eu des retombées pérennes et un véritable impact, plutôt intéressant, sur le développement de la ville.Pour Albertville en 1992 (candidature validée en 1986), c’est un peu différent, car l’enjeu est plutôt de relancer l’enthousiasme, le projet est porté par Michel Barnier et Jean-Claude Killy à l’époque. On sent les premiers affaiblissements du secteur, par exemple, en 1989 la compagnie des Alpes est mise en place pour sauver Tignes et les Arcs de la faillite. Albertville est vue comme un espoir de rebond économique et d’optimisme.
En comparaison, la candidature de 2024 rime avec un triple déni démocratique, climatique et financier. Selon Guillaume Desmurs, le problème majeur est que le projet s’est lancé sans concertation et a été défini par une oligarchie politique sur un « coin de table« .
Des jeux “Neige et chalet”, entre greenwashing et fausses promesses
« Nous allons présenter au monde 48 les Jeux les plus verts de l’histoire, des Jeux neige et chalet. […] Nous mettrons la magie des Jeux à hauteur d’homme. » promet Renaud Muselier, le président de la région PACA.
Guillaume Desmurs lui est forcé d’admettre son pessimisme : “De la transition, je n’ai trouvé aucune trace chez les promoteurs des JO 2030.” Il a pourtant épluché le rapport de la Commission hôte du CIO, une centaine de pages, mais aucune garantie concernant les enjeux climatiques et aucune mention du GIEC. Il serait ainsi naïf de penser que les JO pourraient financer la transition des territoires de montagne. Bien au contraire, on voit déjà se dessiner les passes droits et les lois d’exception pour que ce projet écocidaire fonctionne. La loi olympique par exemple, met en place des facilités fiscales et réduit la durée des consultations, une aubaine pour cette candidature à la fois tardive et express, qui n’a pas d’autre choix que d’agir au plus pressé.
“La durabilité, ou sustainability, est un argument historique des évènements olympiques » mais qui ne se retrouve pas concrètement dans les projets ou se traduit par du greenwashing.. » Pour l’universitaire Jules Boykoff, « Le cio est passé maître dans l’art de faire des changements minuscules qui lui évitent de changer vraiment » écrit Guillaume Desmurs dans son enquête.
On pourrait penser que privilégier des sites qui ont déjà connu de précédentes éditions réduirait considérablement les dépenses énergétiques et financières, mais pour ce qui est le cas de la France, les infrastructures existantes ne sont pas forcément aux normes et le durable ne suffira pas, il va y avoir des rénovations et des surcoûts, sans compter le pôle glace à Nice qui est à construire quasi intégralement.
De plus, c’est la problématique des transports qui se trouve véritablement au cœur des émissions de gaz à effet de serre. Ainsi, avec l’éclatement des sites sur deux régions et les difficultés d’accès inhérentes aux territoires de montagne, la seule question des trajets disqualifie l’évènement olympique au regard des engagements et objectifs de décarbonation de la France. Pour l’heure, le comité ne promet des efforts que sur l’hydrogène et l’électrique, pas un mot sur les lignes ferroviaires.
L’avenir, cinq ans pour agir
Selon Guillaume Desmurs, on peut d’ores et déjà se dire que les porteurs de cette candidature ont abandonné l’idée de construire un autre imaginaire de la montagne, un imaginaire qui s’éloignerait des Bronzés font du ski et où on pourrait s’y rendre à d’autres périodes de l’année, sans nécessairement pratiquer le ski par exemple.
La préservation du modèle actuel est une obsession qui, à ce stade, n’est plus de l’ordre du déni, mais relève d’un ensemble de décisions assumées. Les JO apparaissent comme une bouée de sauvetage pour l’industrie du ski.
En outre, le tourisme éclipse les autres activités et les territoires des Alpes se retrouvent fragilisés par leur dépendance à un système monochrome basé sur le tout ski et le tout tourisme. On continue à construire du neuf pour attirer de nouveaux clients avec l’objectif de compenser la baisse de la fréquentation en augmentant la capacité d’accueil. Les Jeux, en entraînant l’augmentation du prix des mètres carrés et la spéculation immobilière, vont par ricochet accélérer la gentrification et la secondarisation déjà à l’œuvre au sein des stations et communes de montagne.
Finalement pour Guillaume Desmurs, les politiques préfèrent « mal faire » que ne pas profiter de la fenêtre de tir de ces JO. Ils auraient pu dire non au CIO et se pencher sérieusement sur l’aménagement durable du territoire. Au lieu de ça, on assiste à une dynamique de mise en concurrence des stations et des territoires “Ma tyrolienne est plus longue que la tienne”, qui enclenche une compétition entre les maires des communes de montagne.
Une note d’espoir ? Il reste cinq ans pour faire de l’organisation de cet évènement un moment pour rassembler les différents acteurs dans une période d’intense polarisation et ouvrir la voie à des discussions constructives. Les portes de sortie existent encore, les JO ne sont pas une fatalité et on peut encore faire des choix différents d’après l’auteur Guillaume Desmurs.

Soyons plus performants ensemble !
