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Étude / Point économie, écologie, technique

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16 septembre 2025

Contre le sport business, le sport en coopération

Les dérives du sport business ne seraient-elles pas le signe d’un essoufflement du système pour les sports collectifs ? Et si cette rentrée sportive marquait la progression des clubs coopératifs pour cette nouvelle saison ? Dans cette première note de l’atelier « Vivre en coopération », Timothée Duverger, codirecteur de l’Observatoire de l’expérimentation et l’innovation locales, montre qu’une autre voie est possible, celle de la coopération dans le sport.  

 

Le sport professionnel est-il en train de vivre une petite révolution ? En moins de deux ans, plusieurs clubs ont décidé leur transformation coopérative. On les retrouve dans le foot, le hand, le basket, le rugby et le volley, aussi bien dans les sections masculines que féminines, qu’ils évoluent déjà dans le monde professionnel, souhaitent s’y maintenir ou y revenir, ou encore portent un projet de professionnalisation.

L’émergence des coopératives dans les sports collectifs

Le Sporting club de Bastia, qui avait été pionnier dès 2019 et a récemment inspiré la série TV La fièvre sur Canal +, ne fait donc plus figure d’exception. Si le développement du sport en France a reposé sur le modèle associatif, qu’il concerne les clubs, les fédérations ou les ligues, une loi a imposé dès les années 1980 aux clubs disposant de ressources importantes (à travers leurs recettes ou leurs rémunérations) de se doter d’une société commerciale pour gérer leurs activités professionnelles. Avec le temps, une structure bicéphale est ainsi apparue : aux côtés de l’association affiliée à la fédération sportive pour la gestion du secteur amateur, des sociétés anonymes sportives professionnelles (SASP) pour prendre en charge le secteur professionnel.

Club Discipline Ligue Création
SC Bastia Football Ligue 2 masculine 2019
Entente sportive basket Villeneuve-d’Ascq Lille Métropole (ESBVA) Basketball Ligue féminine de basket 2024
Sarrebourg Moselle Sud handball (SMSHB) Handball 1re division masculine 2024
FC Sochaux-Montbéliard Football Nationale masculine 2024
Niort rugby club Rugby Nationale masculine 2024
Vendée football club Football Nationale 2 masculine 2024
US Ivry handball Handball 1re division masculine 2025
Bordeaux Mérignac volley Volleyball Ligue A féminine 2025

Source : Données fournies par la Confédération générale des Scop et des SCIC.

 

La société coopérative d’intérêt collectif (SCIC) s’impose désormais comme une alternative à la société commerciale classique. En 2019, un avis du Conseil économique, social et environnemental (Cese) la présentait comme le « chaînon indispensable » entre l’association et l’entité commerciale pour impliquer les parties prenantes, développer des ressources nouvelles et optimiser la gestion (réinvestissement des excédents). Le code du sport a depuis été modifié pour intégrer la SCIC parmi les formes que peuvent prendre les sociétés sportives, tandis que le ministère des Sports lui-même assure la promotion du modèle.

Les SCIC prennent la forme d’une entité commerciale (société à responsabilité limitée – SARL ; société par actions simplifiées – SAS ; société anonyme – SA), mais elles y ajoutent une couche coopérative en adoptant les principes suivants : une adhésion volontaire et ouverte à tous, une gouvernance démocratique, la participation économique des membres, leur formation et la coopération avec les autres coopératives. La loi leur donne « pour objet la production ou la fourniture de biens et de services d’intérêt collectif, qui présentent un caractère d’utilité sociale». Les SCIC ont donc une finalité sociale, adoptent une gouvernance démocratique (selon le principe « une personne = une voix) et s’organisent autour d’un multi-sociétariat qui permet, dans le cas des coopératives sportives, d’associer les salariés (dont les joueurs), les supporters, les investisseurs locaux et les collectivités territoriales.

Un rapide survol des statuts, des communiqués et des articles de presse permet d’établir que le choix de ce modèle vise à traiter ensemble les enjeux socio-économiques et socio-politiques. Le développement du club doit aller de pair avec une finalité sociale, un ancrage territorial et une participation démocratique. D’autres enjeux apparaissent, comme la formation pour la reconversion des sportifs, la diffusion des valeurs du vivre-ensemble ou des engagements sociétaux et environnementaux (liés aux politiques de responsabilité sociale des entreprises – RSE). De ce point de vue, le Niort rugby club est le premier club à être devenu une société à mission dès 2022.

Ces différents exemples nous montrent qu’une riposte coopérative s’organise face au sport business. Si l’on n’en est pas encore à un mouvement d’ampleur, ces très récentes transformations coopératives constituent autant de signaux faibles témoignant de l’émergence d’une nouvelle tendance. Ces coopératives apparaissent comme des modèles permettant de ne pas dévoyer les valeurs associatives et sportives, particulièrement associées aux sports collectifs.

Le football : un cas limite

Que cela soit en termes d’affluence, d’audience ou de nombre de licenciés, le foot est de loin le sport le plus populaire en France. C’est aussi celui qui a connu le plus les excès du sport business et qui est l’un des plus menacés. Avant l’été 2025, c’était la révolution ou la disparition. Et s’il est loin d’être sauvé, le foot semble avoir fait le premier choix. Le président de la Fédération française de football (FFF), Philippe Diallo, a lancé des états généraux en mars dernier, dont il a présenté les résultats deux mois plus tard avant que le Sénat n’adopte une proposition de loi relative à l’organisation, à la gestion et au financement du sport professionnel le 10 juin 2025, qui doit encore passer devant l’Assemblée nationale.

Mesure phare : une refonte de la gouvernance du football justifiée par la délégation de service public dont bénéficie la FFF, pour mettre fin aux conflits d’intérêt constatés par le rapport Savin sur le foot business. Concrètement, il est proposé de remplacer la Ligue de football professionnel (LFP) par une société commerciale, dont les clubs seront les actionnaires et qui sera chargée de la commercialisation et de la gestion des droits télévisuels, ainsi que de l’organisation des compétitions. La proposition de loi prévoit également un encadrement de la redistribution des revenus audiovisuels pour limiter les écarts d’un à trois entre les clubs.

Ces décisions viennent apporter des réponses au « fiasco » des droits télévisuels, sans cependant réduire l’incertitude sur l’avenir du modèle économique du football. Après l’affaire Mediapro, qui a vu le diffuseur sino-espagnol exploser en vol avec la pandémie de Covid-19, c’est DAZN qui a jeté l’éponge, faute d’avoir atteint ses objectifs en matière de nombre d’abonnés. Cette nouvelle architecture ne suffira donc pas à sauver le football français, dont la fuite en avant ne s’est jamais démentie. Les clubs ont pris l’habitude de dépenser l’argent qu’ils n’ont pas et vivent au-dessus de leurs moyens, générant un déficit chronique de plus d’un milliard d’euros que les ventes de joueurs ne peuvent plus combler.

La financiarisation des clubs s’est ainsi considérablement accrue, les propriétaires historiques étant de plus en plus remplacés par des fonds d’investissement qui détiennent désormais près de la moitié des clubs (8 sur 20). Cela a pour corollaire l’essor de la multipropriété, c’est-à-dire de consortiums actionnaires minoritaires ou majoritaires de plusieurs clubs, ce qui a pour effet des risques d’interdiction de participation à certaines compétitions, de distorsion sur le marché des transferts ou de captation des ressources des clubs filiales en faveur des plus grands clubs. De plus, l’instabilité inhérente au capitalisme actionnarial fait peser une menace sur la pérennité des clubs, comme l’ont illustré les rétrogradations de plusieurs clubs, dont celui des Girondins de Bordeaux, le plus emblématique.

Ce n’est ainsi pas seulement la gouvernance des instances du football qu’il faut revoir, mais aussi celle des clubs. En Allemagne, les associations qui détenaient initialement les clubs doivent détenir la majorité des droits de vote dans les sociétés commerciales apparues dans les années 1990, selon la règle du « 50+1 », ce qui permet d’éviter leur prise de contrôle par des investisseurs privés.

Un autre modèle est possible : la coopération

En France, deux contre-modèles ont émergé depuis la fin des années 2010. D’une part, l’actionnariat populaire, représenté par les Kalons, les supporters que le club de l’En avant Guingamp a invités à entrer dans sa société anonyme sportive professionnelle (SASP). On y retrouve également des initiatives dont les supporters sont à l’origine, avec les Socios Verts à Saint-Étienne ou les Girondins Socios à Bordeaux.

D’autre part, les coopératives auxquelles certains clubs ont recours lorsqu’ils sont rétrogradés.

Ce fut le cas du Sporting club de Bastia, qui s’est retrouvé en Nationale 3 en 2017 après avoir dû déposer le bilan la même année. Une SCIC a été créée deux ans plus tard par l’alliance entre deux familles et les supporters, ce qui a permis au club de remonter en Ligue 2, de retrouver son statut professionnel et de rebâtir son centre de formation. Dans le contexte de crise des droits télévisuels, le club a cependant dû s’ouvrir à de nouveaux investisseurs pour boucler son budget, ce qui va l’amener à recomposer la place de la SCIC dans sa gouvernance.

À Sochaux, c’est une SCIC filiale qui a été fondée en 2024, à la suite de la rétrogradation du club en Nationale. À l’initiative des supporters, les Sociochaux, qui souhaitaient à l’origine reprendre le club, son projet a été recentré sur la gestion du centre de formation et des sections féminines. Le club s’organise ainsi entre l’association support, la SCIC et la SASP qui est parvenue à fédérer une quarantaine d’investisseurs locaux pour sauver le club.

Ainsi, même dans un environnement hypercapitaliste et concurrentiel tel que celui du football, les modèles coopératifs peuvent émerger lorsque les territoires, et particulièrement les supporters, se mobilisent. Selon une récente étude menée par Audirep auprès d’un panel de plus de 5000 Français, en partenariat avec la Fédération nationale des Caisses d’épargne, 44% des sondés, dont beaucoup de jeunes, se déclarent prêts à acquérir des parts d’un grand club sportif et à consacrer du temps pour participer à sa gouvernance. On le voit, les coopératives peuvent s’appuyer sur des aspirations larges en faveur de la restauration d’un sport populaire.

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