Pratique / développement des APS
CrossFit et Hyrox, deux modèles économiques qui redéfinissent le marché du fitness

Deux nouveau-nés ont émergé dans le paysage du fitness : le CrossFit, mêlant renforcement musculaire et exercice cardio-vasculaire, l’Hyrox y ajoutant la course à pied. Avec leur propre logique. Le premier sport s’appuie sur un réseau décentralisé de 700 salles en France. Le second sur plus de 83 évènements centralisés. Pour un même objectif : faire du sport un marché économique rentable.
Muscle-Up (traction + passage au dessus de la barre), clean & jerk(épaulé-jeté), Snatch (arraché), sled push (pousser un traîneau chargé sur une distance), burpee broad jumps (pompe et saut en longueur), wall balls (squat avec une médecine ball à lancer contre un mur)… si ces mots ne vous parlent pas, c’est que vous n’êtes pas encore adepte du CrossFit ou de l’Hyrox, ces sports qui séduisent plus de 200 000 adeptes dans l’Hexagone.
Ces deux modèles sont figures de proue du renouveau du fitness. Ces entraînements de haute intensité, en petits groupes, suivent un protocole défini par les entreprises du même nom. Le CrossFit mélange renforcement musculaire, haltérophilie, force athlétique, exercices cardio-vasculaires et mouvements gymniques. L’Hyrox y ajoute la course à pied, la force et l’endurance. Concrètement, huit fois un kilomètre de course à pied et un exercice de fitness.
Côté stratégie économique, le CrossFit s’appuie sur une logique décentralisée et un ancrage communautaire ; l’Hyrox repose sur une logique centralisée d’organisation d’évènements et un effet d’échelle. Si tous deux incarnent des paradigmes économiques distincts, ils convergent vers une même dynamique : valoriser le sport comme un marché. En explorant leurs structures de financement, leur impact territorial et leurs stratégies de diffusion, nous proposons une lecture critique de la façon dont le fitness devient un laboratoire de tendances pour l’économie de l’expérience.
Décentralisation communautaire vs centralisation hégémonique
Le modèle CrossFit repose sur une structure bottom-up. Chacune des 14 000 salles affiliées ou « box » – dont plus de 700 en France – constitue une entité juridique autonome, qui reverse une licence annuelle à CrossFit LLC tout en conservant une grande latitude opérationnelle. Ce modèle d’affiliation, proche du licensing, favorise une croissance extensive sans immobilisation de capital par la maison-mère. Le financement repose essentiellement sur les abonnements des adhérents et des revenus annexes – coaching, merchandising local. Ce modèle de dissémination rapide avec faible contrôle central est adossé à un capital social fort.
A contrario, Hyrox se positionne comme un acteur centralisé du sport-spectacle. La société allemande Upsolut Sports organise directement les compétitions et agrège la quasi-totalité des revenus – billetterie, droits d’inscription, sponsoring, ventes de produits dérivés. En 2020, l’entreprise a levé environ 5 millions d’euros lors d’une première phase de financement. En 2022, elle a vu Infront Sports & Media, filiale du conglomérat chinois Wanda Group, entrer majoritairement au capital. Ce modèle s’inscrit pleinement dans une logique de scale-up, caractérisée par une croissance rapide reposant sur des capitaux-risqueurs, une forte intégration verticale et l’ambition d’atteindre une masse critique à l’échelle mondiale. Hyrox contrôle l’ensemble de la chaîne de valeur – production, branding, diffusion – ce qui lui permet de capter directement les flux financiers et d’optimiser ses marges. Cette stratégie vise moins la rentabilité immédiate que la valorisation à long terme, en vue d’un positionnement hégémonique sur le marché du fitness compétitif globalisé.
Coûts d’entrée et barrières à l’implantation
Les exigences capitalistiques des deux modèles créent des barrières à l’entrée de natures différentes. Pour ouvrir une box CrossFit, l’entrepreneur doit s’acquitter d’une licence d’environ 4 000 euros par an, recruter du personnel certifié, et investir massivement dans du matériel et de l’immobilier – jusqu’à 100 000 euros d’investissement initial. Ce modèle repose sur un capital fixe élevé, mais offre un potentiel de revenus récurrents. Le prix d’abonnement mensuel, compris entre 80 et 150 euros, reflète ce positionnement premium.
Hyrox, en revanche, n’impose pas la création d’infrastructures dédiées. Les salles de sport existantes peuvent devenir partenaires pour proposer des entraînements Hyrox, contre une redevance modeste – environ 1 500 euros annuels. L’accès au marché repose sur un capital humain adapté et une mobilisation temporaire de ressources existantes. Pour l’usager final, le coût est concentré sur l’accès à l’événement, environ 130 euros par compétition. Cette accessibilité réduit les barrières à l’adoption pour les pratiquants et permet une diffusion plus rapide dans les territoires urbains et périurbains.
Abonnements récurrents vs activités ponctuelles à forte marge
L’économie CrossFit repose sur une récurrence de flux financiers : abonnements mensuels, formations de coachs, compétitions communautaires et vente de produits dérivés. Ce modèle de revenu présente une certaine prévisibilité et résilience, notamment en cas de chocs exogènes. En France, avec près de 700 salles affiliées en 2023, ce modèle génère plusieurs dizaines de millions d’euros de chiffre d’affaires annuel. La nature décentralisée permet à chaque box d’adapter son offre au contexte local. Les compétitions locales, souvent organisées par les box elles-mêmes, renforcent l’ancrage territorial de l’activité et créent des retombées économiques indirectes – restauration, hôtellerie, transport.
Hyrox, à l’inverse, fonde son modèle sur des activités ponctuelles mais à forte valeur ajoutée. Chaque événement est une unité de profit autonome, financée par les frais d’inscription, la billetterie et le sponsoring. En 2025, avec plus de 600 000 participants prévus dans 83 événements, Hyrox anticipe plus de 100 millions de dollars de revenus globaux. Le modèle mise sur une croissance rapide de sa base de clients et la monétisation de la marque via le merchandising et les droits médiatiques. La stratégie repose également sur l’effet de réseau : plus les événements se multiplient, plus la notoriété et la communauté s’étendent, renforçant la rentabilité marginale de chaque course organisée.
Hybridation des modèles
La pandémie de Covid-19 a constitué un test de robustesse pour ces deux modèles. CrossFit a connu une contraction temporaire, mais sa structure décentralisée et la forte cohésion communautaire ont permis une relance rapide dès 2022. Hyrox, bien qu’impacté par l’arrêt des événements, a utilisé cette période pour consolider ses financements et accélérer son internationalisation.
Depuis, une forme de convergence opère : de nombreuses salles CrossFit adoptent le label Hyrox, tandis qu’Hyrox recrute massivement dans la base de pratiquants CrossFit. Cette hybridation dessine un écosystème où les modèles ne s’excluent plus mais se complètent stratégiquement. Dans cette perspective, le fitness ne relève plus du seul loisir : il devient un vecteur stratégique d’accumulation et d’innovation dans les industries culturelles contemporaines. La prochaine décennie permettra sans doute d’observer si ces modèles s’institutionnalisent davantage ou s’ils cèdent la place à d’autres formats hybrides, adaptés aux mutations technologiques et sociales du sport connecté.

Soyons plus performants ensemble !
