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24 mai 2023

Pourquoi y a-t-il si peu de femmes dans les espaces publics sportifs ?

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Courir dans la rue, faire du foot dans un city stade ou aller au skatepark, c’est théoriquement accessible à tous. Dans les faits, ce sont surtout des activités réservées aux hommes. Plusieurs études le révèlent, montrant que les sportives sont reléguées au second plan dans l’espace public. Face à ce constat, l’association Sine Qua Non milite pour que les femmes se réapproprient les équipements sportifs de plein air.

 

 

 

 Ça court en short et ça s’étonne d’être harcelée.   T’es sexy en sportive, ça me donne envie de courir.   Viens faire du sport de chambre avec moi plutôt !  Sur son compte Instagram, l’association Sine Qua Non compile ces remarques entendues par les runneuses. Et encore, le choix a été fait de partager ici les plus « décentes ».

L’objectif recherché ? Révéler aux hommes le quotidien des runneuses, et des sportives en général, quand elles pratiquent leur activité dans l’espace public. Car celles-ci se retrouvent bien souvent importunées, voire harcelées. Et les chiffres le prouvent. En 2015, une étude menée par Runner’s World révélait que 43 % des femmes se disent victimes de harcèlement durant leur séance de footing. Ce qui a poussé 27 % d’entre elles à arrêter la course à pied.

Les femmes effectuent 25 % de sport en moins que les hommes

 Les équipements sportifs urbains sont bien souvent genrés, explique Mathilde Castres, présidente de Sine Qua Non, une association qui encourage les sportives à se réapproprier l’espace public. Sur plusieurs espaces bien précis, comme les city stades, les skateparks ou les lieux de street workout, on ne laisse pas la place aux filles. 

En mars, une étude réalisée par Strava montrait que les femmes effectuent 25 % de temps d’activité physique de moins que les hommes en France (15 % de moins dans le monde), soit 38 minutes de moins en moyenne par semaine. Un phénomène lié à plusieurs causes.  L’une des premières raisons, c’est la peur d’être remarquée, de se prendre des réflexions plutôt désagréables, souligne Lucile Woodward, coach sportive. C’est encore très présent. Même si les réflexions qu’on va se prendre, les « bravo », les petits clins d’œil, les applaudissements, à la base, ça part plutôt d’une bonne intention. Les personnes pensent qu’elles sont sympas, mais en fait c’est mal vécu de la part des femmes. On se sent un peu comme une proie. »

 

 

Une peur aussi liée à la période scolaire.  Les femmes ont souvent eu des expériences désagréables dans les cours d’EPS, où elles se sentaient nulles par rapport aux garçons , note Lucile Woodward. D’ailleurs, dès le plus jeune âge, les garçons prennent toute la place.  80 % des cours de récréation sont occupées par des garçons , rappelait récemment Tony Estanguet, président de Paris 2024, engagé sur cette question de la parité femmes-hommes dans le sport.

Autre raison invoquée, le temps disponible.  Le week-end, bien souvent les femmes ont une charge mentale supérieure, notamment sur la gestion de la vie familiale. Elles vont s’empêcher de prendre ce temps-là pour du sport, contrairement aux hommes.  Là encore, les chiffres le prouvent, Strava ayant mis en lumière que les week-ends, en France, les femmes effectuent 27 % de temps d’activité physique de moins que les hommes.

Les femmes vont se poser plein de questions avant de chausser leurs baskets, comme “il fait nuit, ça craint, je vais changer mon parcours”.

Cet écart est encore supérieur quand il s’agit de comparer le jour et la nuit. La part des femmes pratiquant des activités sportives de nuit est inférieure aux hommes à 16 % après le coucher du soleil, et grimpe à 45 % avant le lever du soleil. Pour des raisons de sentiment d’insécurité, principalement.  On va se poser plein de questions avant de chausser ses baskets, témoigne Mathilde Castres. Les hommes vont juste se demander : « Quel va être mon temps ? » Ils sont sur les enjeux de performance, alors qu’une fille va se poser des questions comme : « Il fait nuit. Ça craint, je vais changer mon parcours, je vais prendre mon téléphone, un sifflet. » On n’aborde pas la pratique de la même façon. »

Un sentiment aussi bien partagé en ville qu’en campagne. Où l’image de la joggeuse retrouvée morte est encore prégnante. À tort, selon Lucile Woodward. « Quand vous regardez le nombre de femmes agressées en courant, ce n’est rien par rapport au nombre de femmes agressées par leurs conjoints. Les féminicides sont pratiquement toujours causés par des personnes qu’elles connaissent, leur ex, leur conjoint. Ce sont des peurs assez infondées. Ce qui est très énervant, c’est que pour la dernière en date, Alexia Daval, on a parlé de la  joggeuse agressée . En réalité, c’est son mari qui l’a brûlée. Mais tout le monde se souvient de la joggeuse retrouvée brûlée dans la forêt. »

La coach sportive Lucile Woodward animant une séance sportive lors du Sine Qua Non Run 2022, le 22 octobre 2022 à Paris. | PHOTO : MICHAEL BARRIERA

Résultat, 55 % des femmes renoncent à sortir et faire des activités seules, selon le rapport 2023 du Haut Conseil à l’Égalité entre les femmes et les hommes. Qui ajoute que huit femmes sur dix ont peur de rentrer seules chez elles le soir. Ce blocage mental, fondé mais exagéré, aboutit à un espace public majoritairement masculin. Notamment sur les city stades et les skateparks, où la proportion d’hommes est quasiment à 100 %. Ce qui crée un cercle vicieux, puisqu’aucune femme n’est là pour en inspirer d’autres à faire du sport à l’extérieur.

Avez-vous peur pour votre emploi face à l’intelligence artificielle ?

Si certaines abandonnent l’activité physique, d’autres la font à la maison. Ce qui peut avoir un avantage pratique. Mais sans les mêmes bienfaits, prévient Lucile Woodward.  C’est une facilité. Déjà, on a les enfants à côté, donc c’est pratique. Mais le sport en extérieur a un atout supplémentaire. La vitamine D est excellente pour la santé. Aussi, le sport à la lumière du jour favorise la production de mélatonine, l’hormone de l’endormissement. Il y a beaucoup de bienfaits, ça diminue le risque de dépression et augmente la qualité de vie d’une manière générale. 

Des sessions sportives en groupe comme solution

Cette situation est-elle donc insoluble ?  Non !, répond Aurélie Bresson, présidente de la Fondation Alice Milliat, qui promeut le sport féminin et soutient Sine Qua Non. L’espace public n’a jamais été servi sur un plateau à la femme. C’est à elle d’en prendre possession.  Une idée qui rejoint le « droit à la ville » théorisé par le sociologue Henri Lefebvre dans les années 1960, défini comme le droit à faire valoir son point de vue concernant le cadre urbain et à l’émancipation dans un espace fortement socialisé.

Pour résoudre ce problème, deux préceptes sont nécessaires, selon le guide « Genre et espace public » édité par la ville de Paris en 2021 : « l’empowerment » des femmes, c’est-à-dire leur capacité à reconquérir des territoires traditionnellement masculins, et la « coveillance », soit le fait que le sentiment de sécurité dans l’espace public soit l’affaire de tous, pas seulement des femmes.

Des initiatives allant dans ce sens ont vu le jour. L’association Sine Qua Non accompagne la pratique des sportives, dans quatre domaines : la course à pied, les city stades, le street workout et les skateparks. Soit les sports extérieurs où la tendance est clairement masculine, au contraire de la marche, la randonnée ou les sports nautiques (surf, planche à voile), plus mixtes.

Mathilde Castres, présidente de Sine Qua Non, animant une conférence avec le Nike Run Club, le 8 mars 2023 à Paris, pour la journée internationale des droits des femmes. | PHOTO : SINE QUA NON

Sine Qua Non organise des sorties sportives en groupe, pour que les femmes se réapproprient ces espaces.  On s’est aperçu qu’il faut accompagner la pratique, sinon on n’y arrive pas, relève Mathilde Castres. L’objectif est qu’elles puissent se dire elles-mêmes qu’elles peuvent aller courir toutes seules le soir.  L’association est pour le moment basée à Paris et sa petite couronne, et elle se déploie à Bordeaux et La Rochelle.

Dans un groupe, quand il y a une majorité de femmes, il y a forcément un moment où elles vont se faire applaudir. Il n’y a rien de répréhensible, sauf que si on était un groupe de mecs ça n’arriverait pas.

Aucun endroit n’est évité.  On emmène les femmes courir dans tous les quartiers, précise Lucile Woodward. Par exemple, à Paris, on fait des départs de Porte de la Chapelle ou dans le XIXe, pour montrer que ça se passe hyper bien la majorité du temps. »

Ces sessions de courses, appelées « squads » et qui sont proposées deux à trois par semaine en Île-de-France, sont mixtes. Ce qui permet d’atteindre un autre objectif, la sensibilisation des hommes.  Les hommes ont peu conscience de l’ampleur et de l’aspect systémique, explique Elias Gerard, ambassadeur Sine Qua Non. En courant en mixité, ça permet aux hommes d’expérimenter les réactions d’autrui. Même dans un groupe de 7-8, à partir du moment où il y a une majorité de femmes, il y a forcément un moment où elles vont se faire interpeller, se faire applaudir. Il n’y a rien de répréhensible ni d’agressif, sauf que si on était un groupe de mecs ça n’arriverait pas. Et puis ça prouve qu’il y a des hommes qui sont alliés à la cause. 

D’autres initiatives allant dans le même sens ont vu le jour. La Fondation Alice Milliat a  lancé des appels à projets avec New Balance et Intersport, qui sont des marques qui se sont positionnées pour développer cet aspect-là , souligne Aurélie Bresson. Dans certaines communes, comme à Epron (Calvados), un éclairage public sur demande a été installé pour pouvoir allumer les lampadaires la nuit, favorisant le sentiment de sécurité.

 

 

L’espace public a été conçu pour l’homme et par l’homme. La femme y passe mais n’y stagne pas.

— Aurélie Bresson

Si tous nos interlocuteurs s’accordent pour dire que du  courage  est nécessaire aux sportives, c’est avec des résultats à la clé.  Les personnes qu’on accompagne osent davantage s’approprier l’espace public, relève Mathilde Castres, qui prend l’exemple des city stades. On négocie avec les municipalités des créneaux dédiés, où on a des coaches formés à toute une méthode suédoise sur l’empowerment des femmes à travers le foot. C’est sur des sessions de 2 heures. Pendant 1 h 30 on coache des filles, généralement entre 15 et 20 ans. Sur la dernière demi-heure, on ouvre en mixité. Et on a vraiment vu une évolution. À la fois chez les hommes, qui au début leur disaient : « Ce terrain-là n’est pas pour vous, allez sur le petit les filles. » Et puis il y a plein de filles qui se sont inscrites en club et viennent jouer sur le city. »

Un groupe de coureuses de Sine Qua Non à La Rochelle. | PHOTO : JULIA TOURMEUR

Des premières avancées, mais encore très marginales. Surtout que, parfois, cela ne se passe pas bien, les groupes de femmes étant mal acceptés. Ce qui n’empêche pas Sine Qua Non de persévérer. Avec parfois un sentiment d’impuissance.  Il faut que tout le monde joue le jeu, souhaite Lucile Woodward. Il faut que les parents emmènent leurs filles dans les stades de sport, les emmènent courir. Qu’il y ait des filles fortes dans leur tête qui aillent faire de la muscu en extérieur. Forcément, on se fait regarder. Il va falloir deux ou trois filles un peu fortes qui le fassent, et peut-être qu’une quatrième qui verra les trois premières se dira qu’elle peut le faire aussi. 

 


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